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La quotidienne du Darde
24 octobre 2017

Harcèlement, en France aussi

En un week-end, près de 16.000 personnes ont raconté leur agression ou harcèlement en utilisant le hashtag #BalanceTonPorc sur Twitter. Trois jours plus tôt, le 10 octobre, deux enquêtes du New York Times et du New Yorkeravaient révélé des témoignages glaçants d'actrices victimes d'harcèlement, d'agressions ou de viols par le producteur star d'Hollywood, Harvey Weinstein. Au milieu de ce séisme médiatique, dans une tribune dans le JDD, ce dimanche 15 octobre, Isabelle Adjani voyait elle une certaine spécificité française. "En France, c'est autrement sournois, écrivait-elle. En France, il y a les trois G: galanterie, grivoiserie, goujaterie. Glisser de l'une à l'autre jusqu'à la violence en prétextant le jeu de la séduction est une des armes de l'arsenal de défense des prédateurs et des harceleurs. De ceux qui prétendent que ces femmes ne sont pas si innocentes, car elles-mêmes se prêtent à ce jeu qui fait partie de notre culture." Après des affaires comme celles impliquant DSK, Denis Baupin ou George Tron, des arguments similaires avaient été mis en avant. "Le coq gaulois a une longue tradition de charmeur bon enfant que ce genre d'affaire heurte en plein vol", expliquait un article de la Tribune en 2011. Un argument qui sous-entend qu'en France plus qu'ailleurs, les mentalités seraient plus difficiles à faire évoluer sur ce sujet. Un moyen de détourner la question du harcèlement et d'occulter notre capacité à faire changer les choses. Cette dimension culturelle fait partie de la triade d'arguments régulièrement avancés "pour ne pas entendre les femmes" selon Arnaud Alessandrin, sociologue, co-auteur d'une étude sur le harcèlement de rue à Bordeaux. "Il y a l'argument pulsionnel selon lequel les hommes sont contraints par leurs pulsions sexuelles, explique-t-il au HuffPost. L'aspect pathologisant arrive en deuxième position: les femmes sont dépeintes comme des hystériques, elles tiendraient des propos démesurés, non raisonnés. La dimension culturelle enfin qui fait de la galanterie une chose sacrée". Mais preuve que les mentalités évoluent, ce dernier argument qui pouvait faire les gros titres de la presse se fait bien plus rare depuis que l'affaire Weinstein a été révélée. Une évolution qui pourrait même être bien plus ancienne. "En 20 ans, la situation a évolué, le harcèlement reste désormais à l'agenda médiatique, y compris en dehors des grosses affaires", remarque Laure Ignace juriste et membre de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Évidemment, les cas les plus médiatiques sont de gros accélérateurs. Depuis 2011, l'association est "chroniquement saturée d'appels à l'aide en fonction des affaires". Si la parole s'est libérée à coup d'affaires retentissantes, elle l'a aussi été grâce à un arsenal législatif plus élaboré sur la question du harcèlement au travail. Depuis le 4 août 2014, une loi a introduit dans le Code Pénal un délit général de harcèlement moral, de quoi forcer le monde professionnel à s'y intéresser. "Les entreprises font depuis aussi appel à nous pour faire de la prévention", met en avant Laure Ignace. Selon Arnaud Alessandrin, ce sont les jeunes générations qui font aussi avancer les choses. Dans l'étude qu'il a mené sur le harcèlement de rue à Bordeaux, Arnaud Alessandrin met en avant que 12% des femmes de plus de 25 ans victimes d'harcèlement en ont parlé à leurs proches ou sont allées porter plainte contre 18% des moins de 25 ans. "Dénoncer, faire un signalement, en parler sur Facebook ou sur Twitter, témoigner sur YouTube, les femmes les plus jeunes hésitent beaucoup moins à faire quelque chose après avoir été victimes de harcèlement", assure-t-il. "Ces 6 points de différence peuvent sembler n'être pas grand chose mais ils recouvrent une vraie réalité". Ce sont évidemment les jeunes générations qui ont grandi avec les réseaux sociaux qui peuvent le plus facilement se tourner vers eux pour prendre la parole. Cela explique aussi le succès d'initiatives comme la grande série des Tumblrs dans la veine de "Paye Ta Shnek" où des Françaises partagent depuis plusieurs années des anecdotes autour du harcèlement dans la rue, au travail ou dans leur vie personnelle. Mais que s'est-il passé depuis que ces affaires médiatiques ont éclaté? Après 2011, "on nous prédisait que les hommes auraient peur d'être seuls avec une femme, on est à des années-lumières de ça", s'insurge la journaliste et romancière Titiou Lecoq sur Slate.fr. Et que s'est-il passé depuis les multiples débats lancés sur le harcèlement sur les réseaux sociaux? Pas grand chose. Cela libère la parole, cela provoque le débat mais cela fait avancer les choses bien lentement. Cette fois-ci, l'effet de masse pourrait pourtant changer la donne. L'affaire Weinstein, le témoignage d'actrices françaises, la Une des Inrocks avec Bertrand Cantat, la sortie en librairie du témoignage de Sandrine Rousseau sur l'affaire Denis Baupin. Les quinze premiers jours d'octobre ne cessent de remettre sur le devant de la scène le sujet du harcèlement et des violences faites aux femmes. L'été 2017 avait aussi été marqué sur les réseaux sociaux par un débat bien plus léger sur le manspreading, l'attitude de certains hommes à prendre trop de place dans les transports en commun.

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